Un mois au front avec Eugène Poulet.
Par Jacques Mortane

De passage dans la capitale, Eugène Poulet, pilote à la MS 12 a pu me rencontrer et raconter son premier mois au front.

A la différence de mon frère (NdR: Etienne Poulet, fameux pilote d'avant guerre, détenteur de pluiseurs records, aujourd'hui pilote d'essai pour Caudron), qui avait depuis longtemps choisi la voie des airs, j'étais instituteur, dans le Nord. A la mobilisation, je me suis retrouvé au 43 RI, et ai participé à la retraite, puis les batailles de la Marne et de l'Aisne. A la fin de l'année, c'est sur l'insistance d' Etienne que je demandais mon transfert dans l'aviation, qui fut immédiatement accepté. J'allais d'abord à D. pour la théorie, puis à C. pour m'entraîner. Si nos instructeurs étaient tout à fait excellents pour ce qui est pilotage et navigation, ils étaient bien démunis quant à nos questions sur comment abattre les allemands. Fort heureusement, nous en savons beaucoup plus aujourd'hui.

J'ai été breveté le 20 Février, et le 24, on m'ordonna de rejoindre l'escadrille 12 à C. Je fus très bien accueilli, le moral est très bon, et nos officiers sont très motivés. J'ai vite compris que j'étais dans une escadrille un peu "spéciale", car, en plus des missions de reconnaissance, nous recherchons activement le Boche, pour l'abattre ou le faire fuir. Ce n'est pas une tâche aisée, car en face, ils ont compris qu'il y avait du danger à venir chez nous, et sont très prudents. Mais nous arrivons quand même à en coincer et en attaquer. Pas plus tard que la semaine dernière, nous en avons eu trois en une journée, un par le Sergent Navarre et le Lieutenant Robert, et deux autres par moi-même et mon observateur le Lieutenant Olivier. Malheureusement, les miens sont tombés trop loin chez l'ennemi pour qu'ils me soient confirmés. Cela m' aurait fait 4 victoires.

J'ai commencé mes premiers vols sur le front le 1er Mars dernier, principalement des missions d'observation, des positions ennemies, des mouvements de troupes, etc...Mais aussi des missions plus offensives, ainsi, dès le 2 Mars, je me suis porté volontaire pour tester un nouveau dispositif offensif contre ballons. Il s'agissait de grenades incendiaires qu'il fallait lancer d' assez près pour espérer enflammer l'ennemi. Il faut croire que j'ai eu de la chance, car il ne m'en a fallu que deux pour abattre un Drachen au sud de S. (ce fut ma première victoire homologuée), en revanche les autres tests furent moins réussis, et nous n'en avons pas reçu d'autres depuis.

Une semaine plus tard, je me suis porté volontaire pour une mission "spéciale", il s'agit d' un exercice bien périlleux, qui a d'ailleurs failli bien mal finir pour moi. De temps à autre, le commandement veut que nous amenions des hommes derrière les lignes ennemies, pour recueillir des informations. J'avais un douanier à déposer près de R.. Après un départ à l'aube, et un vol de 30 minutes derrière les lignes, j' ai atteri près d'un hameau, dans une prairie. Jusque là tout se passait bien, le douanier était au sol, avec ses pigeons, et j'amorçais mon demi tour pour repartir quand mon hélice heurta le sol (le sol n' était pas aussi égal qu'il m'avait semblé), et se brisa net. J' étais coincé, 30 kilomètres chez l'ennemi. Un fermier accourut, en criant "les Allemands, les Allemands!", ils avaient du entendre le bruit de mon moteur. L'homme m'indiqua un petit bois, à 200 mètres, pour que je m'y cache. J'eus juste le temps de mettre le feu à l'appareil avant de m'y précipiter. Un petit ruisseau traversait le bois, et de son long quelques fourrés offraient une cachette bien précaire. J'y restais jusqu'à la nuit tombée, quand deux hommes vinrent à ma rencontre, et me proposèrent de loger dans une grange. Je les accompagnais arme au poing, craignant une ruse des Allemands, mais il n'en fut rien. Je restais dans la grange pendant près de deux semaines, avec un repas par jour, la vie là-bas est très dure, et la nourriture manque.Un soir, on m'avertit de me tenir prêt pour le lendemain, un avion devant venir me récupérer à l'aube. Le douanier a sacrifié un de ses pigeons pour avertir de ma mésaventure, et une mission de sauvetage a été organisée. Le matin, dans le même champ, j' allumais un petit feu, et à l'heure convenue, je vis avec joie un Morane se poser, je remerciait mes sauveurs, et j'y grimpais vite, sous le regard à la fois inquisiteur et bienveillant du Commandant, 40 minutes plus tard j'étais de retour à l'escadrille.

Je repris les vols deux jours plus tard, avec une volonté redoublée de trouver et d'abattre un Allemand. Mais ceux-ci ne se montraient guère, si ce n'est pour des attaques lâches. Le 24, alors que je venais juste de décoller, deux explosions retentirent sur le terrain, heureusement trop loin pour causer quelque dégât. Je levais les yeux et vit deux appareils, s'enfuyant vers le Nord, mais beaucoup trop haut pour que nous puissions les rattraper. Nous nous sommes vengés deux jours plus tard en larguant des obus sur le terrain de V., en plein sur leurs abris! Les vols se poursuivirent, toujours à la recherche de l' affrontement, mais en vain, toujours pas d'Allemand. Le 28, (heureux présage?) j'en trouvais un, écrasé dans ses lignes, c'est donc qu'ils se baladent bien dans le secteur. Je suis descendu au plus près pour noter sa position, et sa chute fut attribuée à une compagnie de défense contre avion.

Le lendemain, à l'issue de ma patrouille entre L. et R. j'allais observer le secteur où l'Allemand était tombé la veille, peut-être en passerait-il d'autres? J'attendis 15 minutes, et enfin mon souhait fut exaucé! Deux Aviatiks, 200 mètres plus bas, cap vers leurs lignes. Je piquais sur le dernier et me mis à son niveau, légèrement en avant, pour offir le meilleur champ de tir pour le Lieutenant Olivier. Il tira 50 cartouches, et soudain, l' Allemand se mit à piquer, avec une légère fumée noire. A 500 mètres du sol, il passa sur le dos, et tomba comme une pierre juste dans les lignes allemandes. Il me fut homologué.

Deux jours plus tard, j'en trouvais encore deux dans le même secteur, et les attaquaient avec la même méthode, le Lieutenant fit un tir parfait, et à sa première rafale, le Boche s'enflamma. Je continuais la poursuite et rattrapais sans difficulté le second, et je l'abordais avec la même manoeuvre. Il piqua en fumant, en faisant des manoeuvres erratiques, je l'accompagnais jusqu'au sol, mais au dernier moment, il redressa son appareil et atterit dans un champ. Le Lieutenant lui tira quelques rafales de plus, mais sous le feu des soldats, nous fûmes forcés de rebrousser chemin. Ces deux victoires, mêmes si elles sont certaines, ne me furent pas homologuées, le combat ayant eu lieu trop en profondeur chez l'ennemi. Mais je m'en moque, pour eux, le résultat est le même!

One month on the frontline with Eugène Poulet.
By Jacques Mortane

On a leave in the capital, Eugène Poulet, pilot at the MS 12 had the time to meet me and tell his first month on the front.

Unlike my brother (Ed. Etienne Poulet, famous pre-war pilot, holder of several records, today a test pilot for Caudron), who had, since a long time, choose the path of the sky, I was a school teacher, in Nord. At the beginning of the war, I was in the 43 RI, and fought during the retreat, and the battles of the Marne and the Aisne. At the end of the year, it was on the insistence of Etienne that I asked my transfer to aviation, which was immediately accepted. First I went for theory lessons at D. then at C. for real training. If our instructors were quite excellent for piloting and navigation, they didn't have a lot of advices on how to shoot down Germans. Fortunately, we know a lot more about it today.

I achieved my brevet on February 20th and on the 24th, I was ordered to join the Escadrille 12 at C.
I was very well received, morale is very good, and our officers are highly motivated. I quickly realized that I was in a "special" Escadrille, because in addition to reconnaissance, we are actively seeking the Boche, to bring him down or make him flee. This is not an easy task because they soon realized that there was danger to come to us and are very cautious. But we still managed to caught and attack them. As recently as last week, we had three in one day, one by the Sergent Navarre and Lieutenant Robert, and two by myself and my observer, Lieutenant Olivier. Unfortunately, mine fell too far in the enemy territory, so they were uncomfirmed. This would had give me 4 victories.

I have made my first war flight on March 1st ,mainly observation missions, enemy positions, troop movements, etc ... But also more offensive missions as well, on March 2nd , I volunteered to test a new offensive system against balloons. It launched incendiary grenades and need to be fairly close to the enemy to hop to ignite him. It seems that I was lucky because it took me only two of these to shot down a Drachen south of S. (this was my first confirmed victory), however other tests were less successful, and we did not received any of these grenades again.

A week later, I volunteered for a mission spéciale, it is a dangerous exercice, which nearly caused my end. From time to time, headquarters wants us to bring men behind enemy lines to gather information. I had to drop a custom-man near R.. After a take off at dawn and a 30-minute flight behind the lines, I have landed near a hamlet, in a meadow. So far, everything was going well, the custom-man was on the ground with his pigeons, and I was starting my turn to take off when my propeller hit the ground (the ground wasn't as flat as I thought) and broke. I was stuck, 30 km in the enemy territory. A farmer came running, shouting "Les Allemands, les Allemands!", They had probably hear the sound of my engine. The man pointed a small forest, 200 meters, for me to cover. I had just enough time to set fire to the plane before I ran to the trees. A small stream ran through the woods, and a few thickets on its banks offered a precarious hiding place.
I stayed there until nightfall, when two men came up to me and offered me to stay in a barn. I accompanied them with my gun on my hand, fearing a trick of the Germans, but it did not happen. I stayed in the barn for nearly two weeks with one meal a day, life there is very hard, and people suffered form food shortage. One evening they warned me to be ready for the next day, as a plane will come pick me up at dawn. Custom-man sacrificed one of his pigeons to warn my mishap, and a rescue mission was organized. In the morning, in the same field, I lit a small fire, and at the appointed time, I happily saw a Morane coming, I thanked my saviors, and I quickly climbed under the happy but inquisitive eyes of the Commandant, 40 minutes later I was back at the Escadrille.

I resumed flights two days later, with renewed determination to find and shoot down a German. But they did not showed, if not for cowards attack. On the 24th, when I had just taken off, two explosions were heard on the ground, luckily too far to cause some damage. I looked up and saw two planes, fleeing to the North, but much too high for us to catch up. We retaliated two days later by dropping the shells on an aerodrome at V., right on their shelters!

Flights continued, always looking for confrontation, but in vain, still no German. On the 28th (an happy omen?) I found one, crashed in its lines, meaning that they prowls in the area. I get low as possible to record its position and in the end its fall was credited to a company of defense against aircraft.

The next day, at the end of my patrol between L. and R. I was observing the area where the German had fallen the day before, perhaps another one will come? I waited 15 minutes, and finally my wish was granted! Two Aviatiks, 200 meters below, heading to their lines. I attacked the last one and began to level, slightly forward to give the best field of fire to Lieutenant Olivier. He fired 50 rounds, and suddenly the German began to dive, with a slight black smoke. At 500 meters above the ground, he passed on his back, and fell like a stone just in the German lines. The victory was confirmed.

Two days later, I found two of them in the same sector and attacked them with the same method, Lieutenant made a perfect shot, and with its first burst, the Boche was downed in flames. I continued the pursuit and catched the second without difficulty, I attacked him with the same manoeuver. It dived and smoked black, making erratic maneuvers, I accompanied him to the ground, but at the last moment, he pulled up and landed in a field. The Lieutenant fired a few more rounds, but under the fire of the soldiers, we were forced to turn back. These two vicotries, even if they are certain, were not confirmed, the battle took place too far in enemy territory. But I do not care, as for the Germans, the result is the same!

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